
· Nos Gins d'ichi ·
De
6,9 Go
hier...
Tant que cela a duré... ce fut ducasse...
La ducasse est finie.
Nos 500 Mo ont été largement dépassés : 14 × !
Redevenons raisonnables : les photos et les liens vers des vidéos
qui figureront dorénavant sur ce site
– que met gratis à notre disposition WIX.COM –
cèderont leur place tout de suite, illico, à celles et ceux
des activités & festivités APGGIiennes ultérieures.
Autrement dit : pour "préserver l'immortel" (!) souvenir de telle ou telle page,
N'ATTENDEZ JAMAIS !
Les photos des archives sont passées les 1res à la trappe,
aussitôt suivies par celles de 2016, 2017, etc.
Le tout à un rythme rapide !
(fin de février 2023)
à
50 Mo
aujourd'hui...
Combien de documents perdus dans la 'liquidation' de fin février 2023 ?
NF. F. NS. NC. :
non fui – fui – non sum – non curo :
(traduit du latin)
je ne fus – je fus – je ne suis – je n'ai cure
Imaginons un homme dont la fortune n'aurait d'égale que l'indifférence à ce que la fortune permet généralement, et dont le désir serait, beaucoup plus orgueilleusement, de saisir, de décrire, d'épuiser, non la totalité du monde – projet que son énoncé seul suffit à ruiner – mais un fragment constitué de celui-ci : face à l'inextricable incohérence du monde, il s'agira alors d'accomplir jusqu'au bout un programme, restreint sans doute, mais entier, intact, irréductible.
Bartlebooth, en d'autres termes, décida un jour que sa vie tout entière serait organisée autour d'un projet unique dont la nécessité arbitraire n'aurait d'autre fin qu'elle-même.
Cette idée lui vint alors qu'il avait vingt ans. Ce fut d'abord une idée vague, une question qui se posait – que faire ? –, une réponse qui s'esquissait : rien. L'argent, le pouvoir, l'art, les femmes, n'intéressaient pas Bartlebooth. Ni la science, ni même le jeu. Tout au plus les cravates et les chevaux ou, si l'on préfère, imprécise mais palpitante sous ces illustrations futiles (encore que des milliers de personnes ordonnent efficacement leur vie autour de leurs cravates et un nombre bien plus grand encore autour de leurs chevaux du dimanche), une certaine idée de la perfection.
Elle se développa dans les mois, dans les années qui suivirent, s'articulant autour de trois principes directeurs :
Le premier fut d'ordre moral : il ne s'agirait pas d'un exploit ou d'un record, ni d'un pic à gravir, ni d'un fond à atteindre. Ce que ferait Bartlebooth ne serait ni spectaculaire ni héroïque ; ce serait simplement, discrètement, un projet, difficile certes, mais non irréalisable, maîtrisé d'un bout à l'autre et qui, en retour, gouvernerait, dans tous ses détails, la vie de celui qui s'y consacrerait.
Le second fut d'ordre logique : excluant tout recours au hasard, l'entreprise ferait fonctionner le temps et l'espace comme des coordonnées abstraites où viendraient s'inscrire avec une récurrence inéluctable des évènements identiques se produisant inexorablement dans leur lieu, à leur date.
Le troisième, enfin, fut d'ordre esthétique : inutile, sa gratuité étant l'unique garantie de sa rigueur, le projet se détruirait lui-même au fur et à mesure qu'il s'accomplirait ; sa perfection serait circulaire : une succession d'évènements qui, en s'enchaînant, s'annuleraient ; parti de rien, Bartlebooth reviendrait au rien, à travers des transformations précises d'objets finis.
Ainsi s'organisa complètement un programme que l'on peut énoncer succinctement ainsi :
Pendant dix ans, de 1925 à 1935, Bartlebooth s'initierait à l'aquarelle.
Pendant vingt ans, de 1935 à 1955, il parcourrait le monde, peignant, à raison d'une aquarelle tous les quinze jours, cinq cents marines de même format (65 x 50, ou raisin) représentant des ports de mer. Chaque fois qu'une de ces marines serait achevée, elle serait envoyée à un artisan spécialisée (Gaspard Winckler) qui la collerait sur une mince plaque de bois et la découperait en un puzzle de sept cent cinquante pièces.
Pendant vingt ans, de 1955 à 1975, Bartlebooth, revenu en France, reconstituerait, dans l'ordre, les puzzles ainsi préparés, à raison, de nouveau, d'un puzzle tous les quinze jours. À mesure que les puzzles seraient réassemblés, les marines seraient "retexturées" de manière à ce qu'on puisse les décoller de leur support, transportées à l'endroit même où – vingt ans auparavant – elles avaient été peintes, et plongées dans une solution détersive d'où ne ressortirait qu'une feuille de papier Whatman, intacte et vierge.
Aucune trace, ainsi, ne resterait de cette opération qui aurait, pendant cinquante ans, entièrement mobilisé son auteur.
[Georges Perec, La Vie mode d'emploi, 1978]